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Notes critiques sure le sondage de l'iri
Élections en
Haïti : attitudes et opinions par Franklin Midy
Le 10 février 1999, IRI publiait sur son site web
(www.iri.org/) les
résultats dun sondage dont lobjectif
"était didentifier les opinions des
Haïtiens politisés et animés dun
sens civique sur le processus électoral haïtien".
IRI précise plus loin: "En identifiant ces opinions,
cette étude pourra définir les solutions
potentielles damélioration du processus
électoral qui déboucheront utilement sur une
augmentation de la participation de la part des citoyens et
des partis politiques. Cette identification contribuera
également à concrétiser lun des
objectifs de lIRI qui consiste à corriger le
problème causé par la pénurie
dinformations fiables sur les attitudes et
préférences politiques."
Ces objectifs de lIRI sont sans doute louables, la
démocratie renvoyant à un espace public de
discussions argumentées, éclairées par
des informations partagées. Mais les résultats
ne sont pas au rendez-vous : les "principales conclusions" de
lenquête ne sont pas fiables; elles nont
pas une base objective solide; la recherche na pas
satisfait aux exigences dune démarche
scientifique.
Ces conclusions ont été pourtant accueillies
par certains dirigeants haïtiens comme des
résultats scientifiques. Comment éviter dans ce
cas quon ne sen serve aveuglément comme
pièces à lappui de décisions
politiques importantes? Puissent ces notes critiques le
prévenir!
Les défauts scientifiques sont repérables
à toutes les étapes du processus
denquête: confusion sur le niveau de recherche
à entreprendre, méthodologie sommaire,
échantillon singulier non représentatif, outil
denquête déficient, réponses
inconséquentes des personnes sondées,
traitement inexact et interprétation arbitraire des
données, conclusions erronées et
recommandations non fondées.
-
Confusion sur le niveau de recherche concerné.
Lobjet de lenquête (les opinions des
Haïtiens politisés et animés dun
sens civique) et lampleur du questionnaire (35
questions) requièrent une recherche sociologique
complexe et non un simple sondage dopinion. En
effet, la catégorie "les Haïtiens
politisés et animés dun sens civique"
nest pas une catégorie empirique
immédiatement donnée, qui pourrait
être au départ dun sondage
dopinion, comme le sont les catégories
homme/femme, célibataire/marié,
paysan/citadin.
Cest un construit sociologique, identifiable
seulement au terme dune recherche empirique
encadrée par une problématique
théorique. Tel nest pas le cas du sondage de
lIRI, lequel prend pour acquis, en toute
naïvete scientifique, que "les Haïtiens
politisés et animés dun sens civique"
sont concentrés au sein des "organisations
populaires, associations de quartiers, de jeunes, de
femmes; associations culturelles et de
développement; associations socio-professionnelles;
élus locaux et parlementaires; et partis
politiques".
-
Méthodologie sommaire. LIRI ne
définit pas les caractéristiques, ni les
critères didentification des "Haïtiens
politisés et animés dun sens civique".
Il reste également muet sur les procédures
de sélection de léchantillon
sondé, sur les modes de gestion des entrevues et
sur la langue utilisée dans les différentes
situations socio-linguistiques, sur les techniques de
traitement des données et les méthodes
danalyse des résultats. Or, la
méthodologie suivie ne manque pas daffecter
les résultats finalement obtenus.
-
Échantillon singulier non représentatif.
Il est évident que léchantillon choisi
par lIRI, hors de toute problématique de
recherche et dans lignorance de la technique de
léchantillonnage proportionnel, est un
échantillon singulier, non représentatif de
la population des "Haïtiens politisés et
animés dun sens civique" et encore moins de
la population du pays. LIRI reconnaît
lui-même que "le profil des participants au sondage
se différencie de la population en
général de différentes
manières". Mais, de façon
inconséquente, il généralise
indûment les données singulières,
concluant que "les Haïtiens politisés et
animés dun sens civique ont identifié
les étapes importantes devant être
entreprises en vue daméliorer le processus
électoral" et que "la perception implicitement
négative des élus laisse entendre que la
population est plutôt sceptique quant à
lengagement de ces derniers envers la
population".
-
Outil denquête déficient. Le
questionnaire nest pas structuré en fonction
dune problématique de recherche. Il est fait
dune suite de questions juxtaposées et
simplifiées, auxquelles il nest possible de
répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre
contraignant, certaines questions sont affectées
par des biais et orientent les réponses,
formulées non pas de façon à
recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de
façon à obtenir ladhésion
à un point de vue
pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2,
4.8, 4.9). Dautres sont énoncées de
façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5,
4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non
pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les
choix proposés sont contraires aux prescrits de la
constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui
demande aux répondants sils ont voté
aux élections de 1987; élections qui ont
été dentrée de jeu interrompues
dans le sang.
-
Réponses incohérentes des personnes
sondées. 54 % des personnes interviewées ont
curieusement affirmé avoir voté aux
élections de 1987 qui nont pas eu lieu.
Incohérence également des réponses
mutuellement exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des
répondants, "61 % pensent que les membres du CEP
devraient être choisis dans les organisations de la
société civile; 48 % estiment que [ce choix]
devrait être laissé à la
discrétion des trois pouvoirs de lÉtat
(Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 %
croient que seuls les partis politiques devraient
constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon
la bonne vieille arithmétique
élémentaire. Mais lIRI rapporte sans
état dâme ce résultat
plutôt bizarre. La même bizarrerie se
répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux
réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que
la communauté internationale devrait observer les
élections, alors que 64 % estiment que la
société civile devrait être en mesure
de le faire", pour un total de 119 %.
-
Traitement inexact et interprétation arbitraire
des données. Jen donne un seul exemple.
À la question 2.5 "Irez-vous voter aux prochaines
élections qui seront organisées en
Haïti?", 64 % des répondants disent "oui".
LIRI ne faisant pas état de
non-réponses, on doit penser que le reste des 36%
ont répondu "non". La question suivante demande aux
36 %, qui ont déclaré leur intention de ne
pas voter, dindiquer les raisons de leur
décision, à partir dune liste de 7
raisons pré-choisies. 58 % dentre eux
indiquent la faible performance des élus, 55 % les
fraudes électorales prévisibles, 54 % la
corruption, 54 % la peur de la violence, 43 %
lexclusion des partis politiques et ainsi de suite -
Notons en passant la légèreté de la
dernière raison alléguée : comment
peut-on sérieusement parler dexclusion des
partis politiques à des élections à
venir, sans verser dans la science-fiction? - Mais venons
au traitement et à linterprétation que
fait lIRI de ces données statistiques. "De
petites majorités ont cependant annoncé
quelles ne participeraient pas aux futures
élections en raison dincidences potentielles
de fraudes électorales, dactes de corruption
et de crainte dincidences de violence". Il est
évident ici que lIRI se pourvoie royalement,
en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 %
en question sont des fractions des 34 % de ceux qui
niront pas voter et non des 100 % des personnes
sondées. Par rapport à toute la population
sondée, on a plutôt affaire à des
minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 %
et 15,5%.
-
Conclusions erronées. La conclusion de
lIRI est donc erronée, quand il juge que "les
participants au sondage ont émis des opinions
contradictoires en ce qui a trait à la question de
la sécurité dans le cadre des prochaines
élections. Une forte majorité (67 %) estime
que les candidats seront en mesure de mener leur campagne
électorale librement et seront en
sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la
peur de la violence comme raison de leur non-participation
aux futures élections". Non, il ny a
guère de contradiction, puisque les 54 % en
question sont une fraction des 34 % ayant
déclaré quils ne voteront pas aux
prochaines élections; ils représentent
seulement 19,4 % de lensemble des répondants.
Contrairement à une autre conclusion de lIRI,
il ny a pas plus de contradiction entre les deux
résultats suivants : "75 % (
) estiment que la
participation de tous les partis est une condition
nécessaire à la tenue des prochaines
élections" et "43 % déclarent que
lexclusion des partis politiques est une raison de
leur non-participation au processus électoral". Car
il sagit de 43 % des 34 % qui déclarent
quils niront pas voter; ils
représentent 15,5 % de la population
sondée.
Que dire, en fin de compte, pour conclure ces notes
critiques du sondage de lIRI? Il coule de source que
les informations qui en résultent ne sont nullement
fiables, parce que le sondage lui-même na pas
été réalisé selon les
règles de lenquête scientifique. Soumis
à lépreuve dun test de
qualité, le rapport prétendûment
scientifique a perdu sa contenance.
Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à
Montréal
Montréal, 20 février 1999
Le 10 février 1999, IRI
publiait sur son site web (www.iri.org/) les résultats
dun sondage dont lobjectif "était
didentifier les opinions des Haïtiens
politisés et animés dun sens civique sur
le processus électoral haïtien". IRI
précise plus loin: "En identifiant ces opinions, cette
étude pourra définir les solutions potentielles
damélioration du processus électoral qui
déboucheront utilement sur une augmentation de la
participation de la part des citoyens et des partis
politiques. Cette identification contribuera également
à concrétiser lun des objectifs de
lIRI qui consiste à corriger le problème
causé par la pénurie dinformations
fiables sur les attitudes et préférences
politiques."
Ces objectifs de lIRI sont
sans doute louables, la démocratie renvoyant à
un espace public de discussions argumentées,
éclairées par des informations
partagées. Mais les résultats ne sont pas au
rendez-vous : les "principales conclusions" de
lenquête ne sont pas fiables; elles nont
pas une base objective solide; la recherche na pas
satisfait aux exigences dune démarche
scientifique.
Ces conclusions ont
été pourtant accueillies par certains
dirigeants haïtiens comme des résultats
scientifiques. Comment éviter dans ce cas quon
ne sen serve aveuglément comme pièces
à lappui de décisions politiques
importantes? Puissent ces notes critiques le
prévenir!
Les défauts scientifiques
sont repérables à toutes les étapes du
processus denquête: confusion sur le niveau de
recherche à entreprendre, méthodologie
sommaire, échantillon singulier non
représentatif, outil denquête
déficient, réponses inconséquentes des
personnes sondées, traitement inexact et
interprétation arbitraire des données,
conclusions erronées et recommandations non
fondées.
-
Confusion sur le niveau de
recherche concerné. Lobjet de
lenquête (les opinions des Haïtiens
politisés et animés dun sens civique)
et lampleur du questionnaire (35 questions)
requièrent une recherche sociologique complexe et
non un simple sondage dopinion. En effet, la
catégorie "les Haïtiens politisés et
animés dun sens civique" nest pas une
catégorie empirique immédiatement
donnée, qui pourrait être au départ
dun sondage dopinion, comme le sont les
catégories homme/femme,
célibataire/marié, paysan/citadin.
Cest un construit sociologique, identifiable
seulement au terme dune recherche empirique
encadrée par une problématique
théorique. Tel nest pas le cas du sondage de
lIRI, lequel prend pour acquis, en toute
naïvete scientifique, que "les Haïtiens
politisés et animés dun sens civique"
sont concentrés au sein des "organisations
populaires, associations de quartiers, de jeunes, de
femmes; associations culturelles et de
développement; associations socio-professionnelles;
élus locaux et parlementaires; et partis
politiques".
-
Méthodologie sommaire.
LIRI ne définit pas les
caractéristiques, ni les critères
didentification des "Haïtiens politisés
et animés dun sens civique". Il reste
également muet sur les procédures de
sélection de léchantillon
sondé, sur les modes de gestion des entrevues et
sur la langue utilisée dans les différentes
situations socio-linguistiques, sur les techniques de
traitement des données et les méthodes
danalyse des résultats. Or, la
méthodologie suivie ne manque pas daffecter
les résultats finalement obtenus.
-
Échantillon singulier
non représentatif. Il est évident que
léchantillon choisi par lIRI, hors de
toute problématique de recherche et dans
lignorance de la technique de
léchantillonnage proportionnel, est un
échantillon singulier, non représentatif de
la population des "Haïtiens politisés et
animés dun sens civique" et encore moins de
la population du pays. LIRI reconnaît
lui-même que "le profil des participants au sondage
se différencie de la population en
général de différentes
manières". Mais, de façon
inconséquente, il généralise
indûment les données singulières,
concluant que "les Haïtiens politisés et
animés dun sens civique ont identifié
les étapes importantes devant être
entreprises en vue daméliorer le processus
électoral" et que "la perception implicitement
négative des élus laisse entendre que la
population est plutôt sceptique quant à
lengagement de ces derniers envers la
population".
-
Outil denquête
déficient. Le questionnaire nest pas
structuré en fonction dune
problématique de recherche. Il est fait dune
suite de questions juxtaposées et
simplifiées, auxquelles il nest possible de
répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre
contraignant, certaines questions sont affectées
par des biais et orientent les réponses,
formulées non pas de façon à
recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de
façon à obtenir ladhésion
à un point de vue
pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2,
4.8, 4.9). Dautres sont énoncées de
façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5,
4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non
pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les
choix proposés sont contraires aux prescrits de la
constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui
demande aux répondants sils ont voté
aux élections de 1987; élections qui ont
été dentrée de jeu interrompues
dans le sang.
-
Réponses
incohérentes des personnes sondées. 54 % des
personnes interviewées ont curieusement
affirmé avoir voté aux élections de
1987 qui nont pas eu lieu. Incohérence
également des réponses mutuellement
exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des
répondants, "61 % pensent que les membres du CEP
devraient être choisis dans les organisations de la
société civile; 48 % estiment que [ce choix]
devrait être laissé à la
discrétion des trois pouvoirs de lÉtat
(Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 %
croient que seuls les partis politiques devraient
constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon
la bonne vieille arithmétique
élémentaire. Mais lIRI rapporte sans
état dâme ce résultat
plutôt bizarre. La même bizarrerie se
répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux
réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que
la communauté internationale devrait observer les
élections, alors que 64 % estiment que la
société civile devrait être en mesure
de le faire", pour un total de 119 %.
-
Traitement inexact et
interprétation arbitraire des données.
Jen donne un seul exemple. À la question 2.5
"Irez-vous voter aux prochaines élections qui
seront organisées en Haïti?", 64 % des
répondants disent "oui". LIRI ne faisant pas
état de non-réponses, on doit penser que le
reste des 36% ont répondu "non". La question
suivante demande aux 36 %, qui ont déclaré
leur intention de ne pas voter, dindiquer les
raisons de leur décision, à partir
dune liste de 7 raisons pré-choisies. 58 %
dentre eux indiquent la faible performance des
élus, 55 % les fraudes électorales
prévisibles, 54 % la corruption, 54 % la peur de la
violence, 43 % lexclusion des partis politiques et
ainsi de suite - Notons en passant la
légèreté de la dernière raison
alléguée : comment peut-on
sérieusement parler dexclusion des partis
politiques à des élections à venir,
sans verser dans la science-fiction? - Mais venons au
traitement et à linterprétation que
fait lIRI de ces données statistiques. "De
petites majorités ont cependant annoncé
quelles ne participeraient pas aux futures
élections en raison dincidences potentielles
de fraudes électorales, dactes de corruption
et de crainte dincidences de violence". Il est
évident ici que lIRI se pourvoie royalement,
en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 %
en question sont des fractions des 34 % de ceux qui
niront pas voter et non des 100 % des personnes
sondées. Par rapport à toute la population
sondée, on a plutôt affaire à des
minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 %
et 15,5%.
-
Conclusions erronées.
La conclusion de lIRI est donc erronée, quand
il juge que "les participants au sondage ont émis
des opinions contradictoires en ce qui a trait à la
question de la sécurité dans le cadre des
prochaines élections. Une forte majorité (67
%) estime que les candidats seront en mesure de mener leur
campagne électorale librement et seront en
sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la
peur de la violence comme raison de leur non-participation
aux futures élections". Non, il ny a
guère de contradiction, puisque les 54 % en
question sont une fraction des 34 % ayant
déclaré quils ne voteront pas aux
prochaines élections; ils représentent
seulement 19,4 % de lensemble des répondants.
Contrairement à une autre conclusion de lIRI,
il ny a pas plus de contradiction entre les deux
résultats suivants : "75 % (
) estiment que la
participation de tous les partis est une condition
nécessaire à la tenue des prochaines
élections" et "43 % déclarent que
lexclusion des partis politiques est une raison de
leur non-participation au processus électoral". Car
il sagit de 43 % des 34 % qui déclarent
quils niront pas voter; ils
représentent 15,5 % de la population
sondée.
Que dire, en fin de compte, pour
conclure ces notes critiques du sondage de lIRI? Il
coule de source que les informations qui en résultent
ne sont nullement fiables, parce que le sondage
lui-même na pas été
réalisé selon les règles de
lenquête scientifique. Soumis à
lépreuve dun test de qualité, le
rapport prétendûment scientifique a perdu sa
contenance.
Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à
Montréal
Montréal, 20 février 1999
Le 10 février 1999, IRI
publiait sur son site web (www.iri.org/) les résultats
dun sondage dont lobjectif "était
didentifier les opinions des Haïtiens
politisés et animés dun sens civique sur
le processus électoral haïtien". IRI
précise plus loin: "En identifiant ces opinions, cette
étude pourra définir les solutions potentielles
damélioration du processus électoral qui
déboucheront utilement sur une augmentation de la
participation de la part des citoyens et des partis
politiques. Cette identification contribuera également
à concrétiser lun des objectifs de
lIRI qui consiste à corriger le problème
causé par la pénurie dinformations
fiables sur les attitudes et préférences
politiques."
Ces objectifs de lIRI sont
sans doute louables, la démocratie renvoyant à
un espace public de discussions argumentées,
éclairées par des informations
partagées. Mais les résultats ne sont pas au
rendez-vous : les "principales conclusions" de
lenquête ne sont pas fiables; elles nont
pas une base objective solide; la recherche na pas
satisfait aux exigences dune démarche
scientifique.
Ces conclusions ont
été pourtant accueillies par certains
dirigeants haïtiens comme des résultats
scientifiques. Comment éviter dans ce cas quon
ne sen serve aveuglément comme pièces
à lappui de décisions politiques
importantes? Puissent ces notes critiques le
prévenir!
Les défauts scientifiques
sont repérables à toutes les étapes du
processus denquête: confusion sur le niveau de
recherche à entreprendre, méthodologie
sommaire, échantillon singulier non
représentatif, outil denquête
déficient, réponses inconséquentes des
personnes sondées, traitement inexact et
interprétation arbitraire des données,
conclusions erronées et recommandations non
fondées.
-
Confusion sur le niveau de
recherche concerné. Lobjet de
lenquête (les opinions des Haïtiens
politisés et animés dun sens civique)
et lampleur du questionnaire (35 questions)
requièrent une recherche sociologique complexe et
non un simple sondage dopinion. En effet, la
catégorie "les Haïtiens politisés et
animés dun sens civique" nest pas une
catégorie empirique immédiatement
donnée, qui pourrait être au départ
dun sondage dopinion, comme le sont les
catégories homme/femme,
célibataire/marié, paysan/citadin.
Cest un construit sociologique, identifiable
seulement au terme dune recherche empirique
encadrée par une problématique
théorique. Tel nest pas le cas du sondage de
lIRI, lequel prend pour acquis, en toute
naïvete scientifique, que "les Haïtiens
politisés et animés dun sens civique"
sont concentrés au sein des "organisations
populaires, associations de quartiers, de jeunes, de
femmes; associations culturelles et de
développement; associations socio-professionnelles;
élus locaux et parlementaires; et partis
politiques".
-
Méthodologie sommaire.
LIRI ne définit pas les
caractéristiques, ni les critères
didentification des "Haïtiens politisés
et animés dun sens civique". Il reste
également muet sur les procédures de
sélection de léchantillon
sondé, sur les modes de gestion des entrevues et
sur la langue utilisée dans les différentes
situations socio-linguistiques, sur les techniques de
traitement des données et les méthodes
danalyse des résultats. Or, la
méthodologie suivie ne manque pas daffecter
les résultats finalement obtenus.
-
Échantillon singulier
non représentatif. Il est évident que
léchantillon choisi par lIRI, hors de
toute problématique de recherche et dans
lignorance de la technique de
léchantillonnage proportionnel, est un
échantillon singulier, non représentatif de
la population des "Haïtiens politisés et
animés dun sens civique" et encore moins de
la population du pays. LIRI reconnaît
lui-même que "le profil des participants au sondage
se différencie de la population en
général de différentes
manières". Mais, de façon
inconséquente, il généralise
indûment les données singulières,
concluant que "les Haïtiens politisés et
animés dun sens civique ont identifié
les étapes importantes devant être
entreprises en vue daméliorer le processus
électoral" et que "la perception implicitement
négative des élus laisse entendre que la
population est plutôt sceptique quant à
lengagement de ces derniers envers la
population".
-
Outil denquête
déficient. Le questionnaire nest pas
structuré en fonction dune
problématique de recherche. Il est fait dune
suite de questions juxtaposées et
simplifiées, auxquelles il nest possible de
répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre
contraignant, certaines questions sont affectées
par des biais et orientent les réponses,
formulées non pas de façon à
recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de
façon à obtenir ladhésion
à un point de vue
pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2,
4.8, 4.9). Dautres sont énoncées de
façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5,
4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non
pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les
choix proposés sont contraires aux prescrits de la
constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui
demande aux répondants sils ont voté
aux élections de 1987; élections qui ont
été dentrée de jeu interrompues
dans le sang.
-
Réponses
incohérentes des personnes sondées. 54 % des
personnes interviewées ont curieusement
affirmé avoir voté aux élections de
1987 qui nont pas eu lieu. Incohérence
également des réponses mutuellement
exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des
répondants, "61 % pensent que les membres du CEP
devraient être choisis dans les organisations de la
société civile; 48 % estiment que [ce choix]
devrait être laissé à la
discrétion des trois pouvoirs de lÉtat
(Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 %
croient que seuls les partis politiques devraient
constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon
la bonne vieille arithmétique
élémentaire. Mais lIRI rapporte sans
état dâme ce résultat
plutôt bizarre. La même bizarrerie se
répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux
réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que
la communauté internationale devrait observer les
élections, alors que 64 % estiment que la
société civile devrait être en mesure
de le faire", pour un total de 119 %.
-
Traitement inexact et
interprétation arbitraire des données.
Jen donne un seul exemple. À la question 2.5
"Irez-vous voter aux prochaines élections qui
seront organisées en Haïti?", 64 % des
répondants disent "oui". LIRI ne faisant pas
état de non-réponses, on doit penser que le
reste des 36% ont répondu "non". La question
suivante demande aux 36 %, qui ont déclaré
leur intention de ne pas voter, dindiquer les
raisons de leur décision, à partir
dune liste de 7 raisons pré-choisies. 58 %
dentre eux indiquent la faible performance des
élus, 55 % les fraudes électorales
prévisibles, 54 % la corruption, 54 % la peur de la
violence, 43 % lexclusion des partis politiques et
ainsi de suite - Notons en passant la
légèreté de la dernière raison
alléguée : comment peut-on
sérieusement parler dexclusion des partis
politiques à des élections à venir,
sans verser dans la science-fiction? - Mais venons au
traitement et à linterprétation que
fait lIRI de ces données statistiques. "De
petites majorités ont cependant annoncé
quelles ne participeraient pas aux futures
élections en raison dincidences potentielles
de fraudes électorales, dactes de corruption
et de crainte dincidences de violence". Il est
évident ici que lIRI se pourvoie royalement,
en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 %
en question sont des fractions des 34 % de ceux qui
niront pas voter et non des 100 % des personnes
sondées. Par rapport à toute la population
sondée, on a plutôt affaire à des
minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 %
et 15,5%.
-
Conclusions erronées.
La conclusion de lIRI est donc erronée, quand
il juge que "les participants au sondage ont émis
des opinions contradictoires en ce qui a trait à la
question de la sécurité dans le cadre des
prochaines élections. Une forte majorité (67
%) estime que les candidats seront en mesure de mener leur
campagne électorale librement et seront en
sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la
peur de la violence comme raison de leur non-participation
aux futures élections". Non, il ny a
guère de contradiction, puisque les 54 % en
question sont une fraction des 34 % ayant
déclaré quils ne voteront pas aux
prochaines élections; ils représentent
seulement 19,4 % de lensemble des répondants.
Contrairement à une autre conclusion de lIRI,
il ny a pas plus de contradiction entre les deux
résultats suivants : "75 % (
) estiment que la
participation de tous les partis est une condition
nécessaire à la tenue des prochaines
élections" et "43 % déclarent que
lexclusion des partis politiques est une raison de
leur non-participation au processus électoral". Car
il sagit de 43 % des 34 % qui déclarent
quils niront pas voter; ils
représentent 15,5 % de la population
sondée.
Que dire, en fin de compte, pour
conclure ces notes critiques du sondage de lIRI? Il
coule de source que les informations qui en résultent
ne sont nullement fiables, parce que le sondage
lui-même na pas été
réalisé selon les règles de
lenquête scientifique. Soumis à
lépreuve dun test de qualité, le
rapport prétendûment scientifique a perdu sa
contenance.
Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à
Montréal
Montréal, 20 février 1999
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