Return to the NCHR Homepage

 

Notes critiques sure le sondage de l'iri

Élections en Haïti : attitudes et opinions par Franklin Midy

Le 10 février 1999, IRI publiait sur son site web (www.iri.org/) les résultats d’un sondage dont l’objectif "était d’identifier les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique sur le processus électoral haïtien". IRI précise plus loin: "En identifiant ces opinions, cette étude pourra définir les solutions potentielles d’amélioration du processus électoral qui déboucheront utilement sur une augmentation de la participation de la part des citoyens et des partis politiques. Cette identification contribuera également à concrétiser l’un des objectifs de l’IRI qui consiste à corriger le problème causé par la pénurie d’informations fiables sur les attitudes et préférences politiques."

Ces objectifs de l’IRI sont sans doute louables, la démocratie renvoyant à un espace public de discussions argumentées, éclairées par des informations partagées. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous : les "principales conclusions" de l’enquête ne sont pas fiables; elles n’ont pas une base objective solide; la recherche n’a pas satisfait aux exigences d’une démarche scientifique.

Ces conclusions ont été pourtant accueillies par certains dirigeants haïtiens comme des résultats scientifiques. Comment éviter dans ce cas qu’on ne s’en serve aveuglément comme pièces à l’appui de décisions politiques importantes? Puissent ces notes critiques le prévenir!

Les défauts scientifiques sont repérables à toutes les étapes du processus d’enquête: confusion sur le niveau de recherche à entreprendre, méthodologie sommaire, échantillon singulier non représentatif, outil d’enquête déficient, réponses inconséquentes des personnes sondées, traitement inexact et interprétation arbitraire des données, conclusions erronées et recommandations non fondées.

  1. Confusion sur le niveau de recherche concerné. L’objet de l’enquête (les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique) et l’ampleur du questionnaire (35 questions) requièrent une recherche sociologique complexe et non un simple sondage d’opinion. En effet, la catégorie "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" n’est pas une catégorie empirique immédiatement donnée, qui pourrait être au départ d’un sondage d’opinion, comme le sont les catégories homme/femme, célibataire/marié, paysan/citadin.
    C’est un construit sociologique, identifiable seulement au terme d’une recherche empirique encadrée par une problématique théorique. Tel n’est pas le cas du sondage de l’IRI, lequel prend pour acquis, en toute naïvete scientifique, que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" sont concentrés au sein des "organisations populaires, associations de quartiers, de jeunes, de femmes; associations culturelles et de développement; associations socio-professionnelles; élus locaux et parlementaires; et partis politiques".
  2. Méthodologie sommaire. L’IRI ne définit pas les caractéristiques, ni les critères d’identification des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique". Il reste également muet sur les procédures de sélection de l’échantillon sondé, sur les modes de gestion des entrevues et sur la langue utilisée dans les différentes situations socio-linguistiques, sur les techniques de traitement des données et les méthodes d’analyse des résultats. Or, la méthodologie suivie ne manque pas d’affecter les résultats finalement obtenus.
  3. Échantillon singulier non représentatif. Il est évident que l’échantillon choisi par l’IRI, hors de toute problématique de recherche et dans l’ignorance de la technique de l’échantillonnage proportionnel, est un échantillon singulier, non représentatif de la population des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" et encore moins de la population du pays. L’IRI reconnaît lui-même que "le profil des participants au sondage se différencie de la population en général de différentes manières". Mais, de façon inconséquente, il généralise indûment les données singulières, concluant que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique ont identifié les étapes importantes devant être entreprises en vue d’améliorer le processus électoral" et que "la perception implicitement négative des élus laisse entendre que la population est plutôt sceptique quant à l’engagement de ces derniers envers la population".
  4. Outil d’enquête déficient. Le questionnaire n’est pas structuré en fonction d’une problématique de recherche. Il est fait d’une suite de questions juxtaposées et simplifiées, auxquelles il n’est possible de répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre contraignant, certaines questions sont affectées par des biais et orientent les réponses, formulées non pas de façon à recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de façon à obtenir l’adhésion à un point de vue pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2, 4.8, 4.9). D’autres sont énoncées de façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5, 4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les choix proposés sont contraires aux prescrits de la constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui demande aux répondants s’ils ont voté aux élections de 1987; élections qui ont été d’entrée de jeu interrompues dans le sang.
  5. Réponses incohérentes des personnes sondées. 54 % des personnes interviewées ont curieusement affirmé avoir voté aux élections de 1987 qui n’ont pas eu lieu. Incohérence également des réponses mutuellement exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des répondants, "61 % pensent que les membres du CEP devraient être choisis dans les organisations de la société civile; 48 % estiment que [ce choix] devrait être laissé à la discrétion des trois pouvoirs de l’État (Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 % croient que seuls les partis politiques devraient constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon la bonne vieille arithmétique élémentaire. Mais l’IRI rapporte sans état d’âme ce résultat plutôt bizarre. La même bizarrerie se répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que la communauté internationale devrait observer les élections, alors que 64 % estiment que la société civile devrait être en mesure de le faire", pour un total de 119 %.
  6. Traitement inexact et interprétation arbitraire des données. J’en donne un seul exemple. À la question 2.5 "Irez-vous voter aux prochaines élections qui seront organisées en Haïti?", 64 % des répondants disent "oui". L’IRI ne faisant pas état de non-réponses, on doit penser que le reste des 36% ont répondu "non". La question suivante demande aux 36 %, qui ont déclaré leur intention de ne pas voter, d’indiquer les raisons de leur décision, à partir d’une liste de 7 raisons pré-choisies. 58 % d’entre eux indiquent la faible performance des élus, 55 % les fraudes électorales prévisibles, 54 % la corruption, 54 % la peur de la violence, 43 % l’exclusion des partis politiques et ainsi de suite - Notons en passant la légèreté de la dernière raison alléguée : comment peut-on sérieusement parler d’exclusion des partis politiques à des élections à venir, sans verser dans la science-fiction? - Mais venons au traitement et à l’interprétation que fait l’IRI de ces données statistiques. "De petites majorités ont cependant annoncé qu’elles ne participeraient pas aux futures élections en raison d’incidences potentielles de fraudes électorales, d’actes de corruption et de crainte d’incidences de violence". Il est évident ici que l’IRI se pourvoie royalement, en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 % en question sont des fractions des 34 % de ceux qui n’iront pas voter et non des 100 % des personnes sondées. Par rapport à toute la population sondée, on a plutôt affaire à des minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 % et 15,5%.
  7. Conclusions erronées. La conclusion de l’IRI est donc erronée, quand il juge que "les participants au sondage ont émis des opinions contradictoires en ce qui a trait à la question de la sécurité dans le cadre des prochaines élections. Une forte majorité (67 %) estime que les candidats seront en mesure de mener leur campagne électorale librement et seront en sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la peur de la violence comme raison de leur non-participation aux futures élections". Non, il n’y a guère de contradiction, puisque les 54 % en question sont une fraction des 34 % ayant déclaré qu’ils ne voteront pas aux prochaines élections; ils représentent seulement 19,4 % de l’ensemble des répondants. Contrairement à une autre conclusion de l’IRI, il n’y a pas plus de contradiction entre les deux résultats suivants : "75 % (…) estiment que la participation de tous les partis est une condition nécessaire à la tenue des prochaines élections" et "43 % déclarent que l’exclusion des partis politiques est une raison de leur non-participation au processus électoral". Car il s’agit de 43 % des 34 % qui déclarent qu’ils n’iront pas voter; ils représentent 15,5 % de la population sondée.

Que dire, en fin de compte, pour conclure ces notes critiques du sondage de l’IRI? Il coule de source que les informations qui en résultent ne sont nullement fiables, parce que le sondage lui-même n’a pas été réalisé selon les règles de l’enquête scientifique. Soumis à l’épreuve d’un test de qualité, le rapport prétendûment scientifique a perdu sa contenance.

Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à Montréal
Montréal, 20 février 1999

Le 10 février 1999, IRI publiait sur son site web (www.iri.org/) les résultats d’un sondage dont l’objectif "était d’identifier les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique sur le processus électoral haïtien". IRI précise plus loin: "En identifiant ces opinions, cette étude pourra définir les solutions potentielles d’amélioration du processus électoral qui déboucheront utilement sur une augmentation de la participation de la part des citoyens et des partis politiques. Cette identification contribuera également à concrétiser l’un des objectifs de l’IRI qui consiste à corriger le problème causé par la pénurie d’informations fiables sur les attitudes et préférences politiques."

Ces objectifs de l’IRI sont sans doute louables, la démocratie renvoyant à un espace public de discussions argumentées, éclairées par des informations partagées. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous : les "principales conclusions" de l’enquête ne sont pas fiables; elles n’ont pas une base objective solide; la recherche n’a pas satisfait aux exigences d’une démarche scientifique.

Ces conclusions ont été pourtant accueillies par certains dirigeants haïtiens comme des résultats scientifiques. Comment éviter dans ce cas qu’on ne s’en serve aveuglément comme pièces à l’appui de décisions politiques importantes? Puissent ces notes critiques le prévenir!

Les défauts scientifiques sont repérables à toutes les étapes du processus d’enquête: confusion sur le niveau de recherche à entreprendre, méthodologie sommaire, échantillon singulier non représentatif, outil d’enquête déficient, réponses inconséquentes des personnes sondées, traitement inexact et interprétation arbitraire des données, conclusions erronées et recommandations non fondées.

  1. Confusion sur le niveau de recherche concerné. L’objet de l’enquête (les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique) et l’ampleur du questionnaire (35 questions) requièrent une recherche sociologique complexe et non un simple sondage d’opinion. En effet, la catégorie "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" n’est pas une catégorie empirique immédiatement donnée, qui pourrait être au départ d’un sondage d’opinion, comme le sont les catégories homme/femme, célibataire/marié, paysan/citadin.
    C’est un construit sociologique, identifiable seulement au terme d’une recherche empirique encadrée par une problématique théorique. Tel n’est pas le cas du sondage de l’IRI, lequel prend pour acquis, en toute naïvete scientifique, que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" sont concentrés au sein des "organisations populaires, associations de quartiers, de jeunes, de femmes; associations culturelles et de développement; associations socio-professionnelles; élus locaux et parlementaires; et partis politiques".
  2. Méthodologie sommaire. L’IRI ne définit pas les caractéristiques, ni les critères d’identification des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique". Il reste également muet sur les procédures de sélection de l’échantillon sondé, sur les modes de gestion des entrevues et sur la langue utilisée dans les différentes situations socio-linguistiques, sur les techniques de traitement des données et les méthodes d’analyse des résultats. Or, la méthodologie suivie ne manque pas d’affecter les résultats finalement obtenus.
  3. Échantillon singulier non représentatif. Il est évident que l’échantillon choisi par l’IRI, hors de toute problématique de recherche et dans l’ignorance de la technique de l’échantillonnage proportionnel, est un échantillon singulier, non représentatif de la population des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" et encore moins de la population du pays. L’IRI reconnaît lui-même que "le profil des participants au sondage se différencie de la population en général de différentes manières". Mais, de façon inconséquente, il généralise indûment les données singulières, concluant que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique ont identifié les étapes importantes devant être entreprises en vue d’améliorer le processus électoral" et que "la perception implicitement négative des élus laisse entendre que la population est plutôt sceptique quant à l’engagement de ces derniers envers la population".
  4. Outil d’enquête déficient. Le questionnaire n’est pas structuré en fonction d’une problématique de recherche. Il est fait d’une suite de questions juxtaposées et simplifiées, auxquelles il n’est possible de répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre contraignant, certaines questions sont affectées par des biais et orientent les réponses, formulées non pas de façon à recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de façon à obtenir l’adhésion à un point de vue pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2, 4.8, 4.9). D’autres sont énoncées de façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5, 4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les choix proposés sont contraires aux prescrits de la constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui demande aux répondants s’ils ont voté aux élections de 1987; élections qui ont été d’entrée de jeu interrompues dans le sang.
  5. Réponses incohérentes des personnes sondées. 54 % des personnes interviewées ont curieusement affirmé avoir voté aux élections de 1987 qui n’ont pas eu lieu. Incohérence également des réponses mutuellement exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des répondants, "61 % pensent que les membres du CEP devraient être choisis dans les organisations de la société civile; 48 % estiment que [ce choix] devrait être laissé à la discrétion des trois pouvoirs de l’État (Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 % croient que seuls les partis politiques devraient constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon la bonne vieille arithmétique élémentaire. Mais l’IRI rapporte sans état d’âme ce résultat plutôt bizarre. La même bizarrerie se répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que la communauté internationale devrait observer les élections, alors que 64 % estiment que la société civile devrait être en mesure de le faire", pour un total de 119 %.
  6. Traitement inexact et interprétation arbitraire des données. J’en donne un seul exemple. À la question 2.5 "Irez-vous voter aux prochaines élections qui seront organisées en Haïti?", 64 % des répondants disent "oui". L’IRI ne faisant pas état de non-réponses, on doit penser que le reste des 36% ont répondu "non". La question suivante demande aux 36 %, qui ont déclaré leur intention de ne pas voter, d’indiquer les raisons de leur décision, à partir d’une liste de 7 raisons pré-choisies. 58 % d’entre eux indiquent la faible performance des élus, 55 % les fraudes électorales prévisibles, 54 % la corruption, 54 % la peur de la violence, 43 % l’exclusion des partis politiques et ainsi de suite - Notons en passant la légèreté de la dernière raison alléguée : comment peut-on sérieusement parler d’exclusion des partis politiques à des élections à venir, sans verser dans la science-fiction? - Mais venons au traitement et à l’interprétation que fait l’IRI de ces données statistiques. "De petites majorités ont cependant annoncé qu’elles ne participeraient pas aux futures élections en raison d’incidences potentielles de fraudes électorales, d’actes de corruption et de crainte d’incidences de violence". Il est évident ici que l’IRI se pourvoie royalement, en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 % en question sont des fractions des 34 % de ceux qui n’iront pas voter et non des 100 % des personnes sondées. Par rapport à toute la population sondée, on a plutôt affaire à des minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 % et 15,5%.
  7. Conclusions erronées. La conclusion de l’IRI est donc erronée, quand il juge que "les participants au sondage ont émis des opinions contradictoires en ce qui a trait à la question de la sécurité dans le cadre des prochaines élections. Une forte majorité (67 %) estime que les candidats seront en mesure de mener leur campagne électorale librement et seront en sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la peur de la violence comme raison de leur non-participation aux futures élections". Non, il n’y a guère de contradiction, puisque les 54 % en question sont une fraction des 34 % ayant déclaré qu’ils ne voteront pas aux prochaines élections; ils représentent seulement 19,4 % de l’ensemble des répondants. Contrairement à une autre conclusion de l’IRI, il n’y a pas plus de contradiction entre les deux résultats suivants : "75 % (…) estiment que la participation de tous les partis est une condition nécessaire à la tenue des prochaines élections" et "43 % déclarent que l’exclusion des partis politiques est une raison de leur non-participation au processus électoral". Car il s’agit de 43 % des 34 % qui déclarent qu’ils n’iront pas voter; ils représentent 15,5 % de la population sondée.

Que dire, en fin de compte, pour conclure ces notes critiques du sondage de l’IRI? Il coule de source que les informations qui en résultent ne sont nullement fiables, parce que le sondage lui-même n’a pas été réalisé selon les règles de l’enquête scientifique. Soumis à l’épreuve d’un test de qualité, le rapport prétendûment scientifique a perdu sa contenance.

Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à Montréal
Montréal, 20 février 1999

Le 10 février 1999, IRI publiait sur son site web (www.iri.org/) les résultats d’un sondage dont l’objectif "était d’identifier les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique sur le processus électoral haïtien". IRI précise plus loin: "En identifiant ces opinions, cette étude pourra définir les solutions potentielles d’amélioration du processus électoral qui déboucheront utilement sur une augmentation de la participation de la part des citoyens et des partis politiques. Cette identification contribuera également à concrétiser l’un des objectifs de l’IRI qui consiste à corriger le problème causé par la pénurie d’informations fiables sur les attitudes et préférences politiques."

Ces objectifs de l’IRI sont sans doute louables, la démocratie renvoyant à un espace public de discussions argumentées, éclairées par des informations partagées. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous : les "principales conclusions" de l’enquête ne sont pas fiables; elles n’ont pas une base objective solide; la recherche n’a pas satisfait aux exigences d’une démarche scientifique.

Ces conclusions ont été pourtant accueillies par certains dirigeants haïtiens comme des résultats scientifiques. Comment éviter dans ce cas qu’on ne s’en serve aveuglément comme pièces à l’appui de décisions politiques importantes? Puissent ces notes critiques le prévenir!

Les défauts scientifiques sont repérables à toutes les étapes du processus d’enquête: confusion sur le niveau de recherche à entreprendre, méthodologie sommaire, échantillon singulier non représentatif, outil d’enquête déficient, réponses inconséquentes des personnes sondées, traitement inexact et interprétation arbitraire des données, conclusions erronées et recommandations non fondées.

  1. Confusion sur le niveau de recherche concerné. L’objet de l’enquête (les opinions des Haïtiens politisés et animés d’un sens civique) et l’ampleur du questionnaire (35 questions) requièrent une recherche sociologique complexe et non un simple sondage d’opinion. En effet, la catégorie "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" n’est pas une catégorie empirique immédiatement donnée, qui pourrait être au départ d’un sondage d’opinion, comme le sont les catégories homme/femme, célibataire/marié, paysan/citadin.
    C’est un construit sociologique, identifiable seulement au terme d’une recherche empirique encadrée par une problématique théorique. Tel n’est pas le cas du sondage de l’IRI, lequel prend pour acquis, en toute naïvete scientifique, que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" sont concentrés au sein des "organisations populaires, associations de quartiers, de jeunes, de femmes; associations culturelles et de développement; associations socio-professionnelles; élus locaux et parlementaires; et partis politiques".
  2. Méthodologie sommaire. L’IRI ne définit pas les caractéristiques, ni les critères d’identification des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique". Il reste également muet sur les procédures de sélection de l’échantillon sondé, sur les modes de gestion des entrevues et sur la langue utilisée dans les différentes situations socio-linguistiques, sur les techniques de traitement des données et les méthodes d’analyse des résultats. Or, la méthodologie suivie ne manque pas d’affecter les résultats finalement obtenus.
  3. Échantillon singulier non représentatif. Il est évident que l’échantillon choisi par l’IRI, hors de toute problématique de recherche et dans l’ignorance de la technique de l’échantillonnage proportionnel, est un échantillon singulier, non représentatif de la population des "Haïtiens politisés et animés d’un sens civique" et encore moins de la population du pays. L’IRI reconnaît lui-même que "le profil des participants au sondage se différencie de la population en général de différentes manières". Mais, de façon inconséquente, il généralise indûment les données singulières, concluant que "les Haïtiens politisés et animés d’un sens civique ont identifié les étapes importantes devant être entreprises en vue d’améliorer le processus électoral" et que "la perception implicitement négative des élus laisse entendre que la population est plutôt sceptique quant à l’engagement de ces derniers envers la population".
  4. Outil d’enquête déficient. Le questionnaire n’est pas structuré en fonction d’une problématique de recherche. Il est fait d’une suite de questions juxtaposées et simplifiées, auxquelles il n’est possible de répondre que par "oui" ou "non". Dans ce cadre contraignant, certaines questions sont affectées par des biais et orientent les réponses, formulées non pas de façon à recueillir une opinion individuelle, mais plutôt de façon à obtenir l’adhésion à un point de vue pré-déterminé (2.6, 2.7, 3.1, 3.2, 4.8, 4.9). D’autres sont énoncées de façon on ne peut plus équivoque (3.4, 3.5, 4.7, 4.10). Quelques-unes sont tout simplement non pertinentes (4.3, 4.4, 4.5), pour la bonne raison que les choix proposés sont contraires aux prescrits de la constitution ou sont impossibles, comme le 2.2B, qui demande aux répondants s’ils ont voté aux élections de 1987; élections qui ont été d’entrée de jeu interrompues dans le sang.
  5. Réponses incohérentes des personnes sondées. 54 % des personnes interviewées ont curieusement affirmé avoir voté aux élections de 1987 qui n’ont pas eu lieu. Incohérence également des réponses mutuellement exclusives aux questions 4.3, 4.4, 4.5. Des répondants, "61 % pensent que les membres du CEP devraient être choisis dans les organisations de la société civile; 48 % estiment que [ce choix] devrait être laissé à la discrétion des trois pouvoirs de l’État (Exécutif, Législatif, Judiciaire); 26 % croient que seuls les partis politiques devraient constituer le prochain CEP", pour un total de 135 %, selon la bonne vieille arithmétique élémentaire. Mais l’IRI rapporte sans état d’âme ce résultat plutôt bizarre. La même bizarrerie se répète pour les questions 4.9 et 4.10 aux réponses mutuellement exclusives: "55 % pensent que la communauté internationale devrait observer les élections, alors que 64 % estiment que la société civile devrait être en mesure de le faire", pour un total de 119 %.
  6. Traitement inexact et interprétation arbitraire des données. J’en donne un seul exemple. À la question 2.5 "Irez-vous voter aux prochaines élections qui seront organisées en Haïti?", 64 % des répondants disent "oui". L’IRI ne faisant pas état de non-réponses, on doit penser que le reste des 36% ont répondu "non". La question suivante demande aux 36 %, qui ont déclaré leur intention de ne pas voter, d’indiquer les raisons de leur décision, à partir d’une liste de 7 raisons pré-choisies. 58 % d’entre eux indiquent la faible performance des élus, 55 % les fraudes électorales prévisibles, 54 % la corruption, 54 % la peur de la violence, 43 % l’exclusion des partis politiques et ainsi de suite - Notons en passant la légèreté de la dernière raison alléguée : comment peut-on sérieusement parler d’exclusion des partis politiques à des élections à venir, sans verser dans la science-fiction? - Mais venons au traitement et à l’interprétation que fait l’IRI de ces données statistiques. "De petites majorités ont cependant annoncé qu’elles ne participeraient pas aux futures élections en raison d’incidences potentielles de fraudes électorales, d’actes de corruption et de crainte d’incidences de violence". Il est évident ici que l’IRI se pourvoie royalement, en ne se rendant pas compte que les 58 %, 55 %, 54 %, 43 % en question sont des fractions des 34 % de ceux qui n’iront pas voter et non des 100 % des personnes sondées. Par rapport à toute la population sondée, on a plutôt affaire à des minorités: respective-ment 20,9 %, 19,8 %, 19,4 % et 15,5%.
  7. Conclusions erronées. La conclusion de l’IRI est donc erronée, quand il juge que "les participants au sondage ont émis des opinions contradictoires en ce qui a trait à la question de la sécurité dans le cadre des prochaines élections. Une forte majorité (67 %) estime que les candidats seront en mesure de mener leur campagne électorale librement et seront en sécurité (52 %). Cependant 54 % citent la peur de la violence comme raison de leur non-participation aux futures élections". Non, il n’y a guère de contradiction, puisque les 54 % en question sont une fraction des 34 % ayant déclaré qu’ils ne voteront pas aux prochaines élections; ils représentent seulement 19,4 % de l’ensemble des répondants. Contrairement à une autre conclusion de l’IRI, il n’y a pas plus de contradiction entre les deux résultats suivants : "75 % (…) estiment que la participation de tous les partis est une condition nécessaire à la tenue des prochaines élections" et "43 % déclarent que l’exclusion des partis politiques est une raison de leur non-participation au processus électoral". Car il s’agit de 43 % des 34 % qui déclarent qu’ils n’iront pas voter; ils représentent 15,5 % de la population sondée.

Que dire, en fin de compte, pour conclure ces notes critiques du sondage de l’IRI? Il coule de source que les informations qui en résultent ne sont nullement fiables, parce que le sondage lui-même n’a pas été réalisé selon les règles de l’enquête scientifique. Soumis à l’épreuve d’un test de qualité, le rapport prétendûment scientifique a perdu sa contenance.

Franklin Midy
Département de Sociologie
Université du Québec à Montréal
Montréal, 20 février 1999

 

HUMAN RIGHTS PROGRAM

NCHR's Strategy

   
  See also:
  Judicial Reform in Haiti
  La réforme judiciaire en Haïti
  Human Rights News
Archived Human Rights News
HAITIANS IN THE DOMINICAN REPUBLIC
  Overview: Mass Expulsions and Deportations
  IACHR Decision of Sep 14, 2000
  CEJIL: Comunicado de prensa
  Related Links
RESTAVÈK CAMPAIGN
  Campaign Overview
  Introduction
  How You Can Help
   Restavèk: Four-year-old Servants in Haiti - Haiti Insight Dec '96 / Jan '97
NCHR HAITI - NEWS FROM THE FRONT LINE
  Contact Information
  Open Letter to the Haitian National Police
  Open Letter to the Haitian Minister of Justice
  December 2001 Report
  NCHR Calls on Haiti's President to Ensure Safety of Human Rights Advocates
MICHAEL S. HOOPER AWARD
  NCHR Pays Tribute to Jean Léopold Dominique
  Event Photos
  The Sound of Silence
  more on . . .
    Jean L. Dominique
    Michèle Montas
    Michael S. Hooper
RELATED SOURCES ON HUMAN RIGHTS ISSUES
 

Inter-American Commission on Human Rights: Report on the Situation of Human Rights in Haiti (1994)

 

Peacebuilding in Haiti: Findings of the International Peace Academy regarding challenges to peacebuilding in Haiti.

  Peace Brigades International, Haiti: Reports from the PBI contingent in Haiti on conflict resolution and political challenges.
  Situation of Human Rights in Haiti: Report of the UN Commission on Human Rights, 1996.
  MICIVIH OEA/ONU: La police nationale d'Haiti et les droits de l'homme
  State Department 1997 Haiti Report
  Haiti Held Hostage
Report of the Watson Institute
  Amnesty International Report
HAITI Steps Forward, Steps Back: Human Rights 10 Years After the Coup (27/09/2001)

Home | About NCHR | Privacy Policy | Contact Us

©2002 NCHR -- ALL RIGHTS RESERVED -- Last updated: 01 May 2007